Marie de France

Marie ai num, si sui de France. On ne saura rien de plus. Originaire de ce qu'on appelle aujourd'hui l'Ile de France, Marie écrit en anglo-normand, et semble être liée à la cour d'Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt, à qui elle dédie sa première œuvre connue, les Lais. L'Angleterre de l'époque, tout spécialement dans sa partie continentale, apparaît comme un espace littéraire extrêmement riche. La lyrique des troubadours s'y épanouit, on y compose les premiers romans antiques, tandis que l'histoire mythique de la dynastie donne son cadre à ce qu'on appellera la matière de Bretagne. Au cœur de ce carrefour culturel, Marie hérite de traditions diverses, qui ne se fondront jamais entièrement, donnant naissance à des œuvres d'inspiration et d'écriture différentes. Des jongleurs bretons, elle reprend les sujets et une thématique lyrique jouant sur le merveilleux : les Lais narrent l'amour et ses drames. Composant quelques années plus tard l'Isopet (vers 1180), recueil de fables tirées d'Esope, la poétesse s'inscrit dans une tradition culturellement moins audacieuse, faisant moins œuvre d'invention que de translation (c'est d'ailleurs d'une traduction qu'il s'agit — non du latin mais de l'anglais...). Avec sa dernière œuvre connue, L'Espurgatoire saint Patrice (vers 1190), Marie explore une troisième voie littéraire, en empruntant à la tradition chrétienne un sujet et surtout une richesse descriptive qui renouvellent son art, marqué jusqu'alors par la rapidité et l'économie. De cet itinéraire poétique, on retiendra l'affirmation grandissante d'une vocation didactique étroitement associée à une orthodoxie morale et littéraire. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que les Lais seuls aient conservé leur fraîcheur — et leurs lecteurs.

Lais (vers 1170)

Avec cette suite de récits lyriques inspirés de légendes celtiques, le folklore oral devient sujet littéraire, accède à la dignité de l'écrit. Il ne s'agit pas pour la poétesse de prétendre égaler les anciens, mais d'apporter un surplus de sens à une culture antique que l'on ne saurait se contenter de gloser. L'invention tient autant au choix des sources qu'à une écriture très particulière, rythmée par l'octosyllabe, et dont la narration rapide est centrée sur un thème unique : la rencontre décisive de l'amour, qui ne laisse aucune alternative à des épreuves quelquefois invivables. Privilégiant le drame, les Lais ont pour cadre un univers proche du monde courtois, dont les contraintes seraient toutefois assouplies. C'est que l'idéologie en est différente : Eliduc clôt le volume en rappellant que le seul amour heureux est en Dieu.